Dans la prolongation de la présentation des résultats du sondage sur le comportement électoral des jeunes aux élections régionales des 6 et 13 décembre 2015, nous donnons la parole et des spécialistes de notre réseau. Aujourd’hui, retrouvez la réaction d’Anne Muxel, directrice de recherches au CEVIPOF. (Ndlr : Cette interview a été réalisée avant le dimanche 6 décembre).

Première réaction, pas de surprise du tout. Au contraire, c’est une confirmation des tendances que l’on observe maintenant depuis un certain temps au sein de la jeunesse française qui se droitise. Elle trouve, pour une partie d’entre elle, en tous cas, de plus en plus d’attrait pour le Front national. La jeunesse est en demande de changements, sans doute d’alternance, il y a une recherche d’alternative politique. Évidemment cette recherche se fait au travers d’options radicales, tel que le choix du FN mais au-delà de ça, nous voyons bien qu’il y a une jeunesse qui est en attente de politique, qui est probablement déçue, mais comme le reste de la population française. Elle cherche d’autres voies, qui ne sont peut être pas celles des grands partis de gouvernement, qu’ils ont vu au pouvoir et qui finalement, n’ont apporté que peu de réponses à leurs préoccupations.
Que pensez-vous de la forte abstention attendue chez les jeunes lors du 1er tour (72%) ?
Pas de surprise non plus. Les jeunes ne s’intéressent que très peu au scrutin régional. C’est d’ailleurs un peu paradoxal parce que les régions ont beaucoup d’attributions qui impactent très directement leur vie quotidienne. L’espace national reste toujours l’espace de référence au travers duquel se fixent leurs choix, leurs arbitrages politiques. L’espace régional, comme l’espace européen, a du mal à exister politiquement en tant que tel. La très faible participation que l’on peut attendre des jeunes se confirme. Elle s’est vérifiée aux élections départementales et européennes.
Comment expliquez-vous cela justement, alors que les régions ont beaucoup de compétences liées aux sujets de jeunesse ?
Je crois que c’est un problème d’incarnation et de personnalisation. Les jeunes et cette génération-là en particulier, a encore plus besoin d’incarnation que les générations précédentes, dont les attaches politiques étaient davantage faites de traditions, de loyautés partisanes, d’attaches institutionnelles et d’identifications idéologiques. Les jeunes ne sont plus du tout là-dedans. Ils décodent la politique et font des choix davantage à partir des images, à partir des enjeux de personnalités des hommes et femmes politiques, d’éléments beaucoup plus affectifs qu’idéologiques. Il me semble que cette incarnation des politiques existe beaucoup plus au niveau national que local… C’est pour cela que le cadre national continue d’interpeller et d’intéresser les jeunes. Par ailleurs, ils considèrent toujours, peut être à tort ou à raison, qu’il est important de désigner “le pilote de l’avion”, celui qui va diriger le pays, là aussi il y a cette dimension d’une responsabilité politique suprême.
A votre avis cela peut expliquer le “succès annoncé du Front national”, porté par la personnalité très médiatique de Marine Le Pen, auprès de cette population ?
J’ai l’impression que c’est plutôt la recherche d’une alternative, la volonté de faire bouger les lignes. Est-ce de l’adhésion idéologique ? Est-ce de la protestation politique ou l’expression d’une lassitude ? D’une défiance immense au regard des partis de gouvernement ? Je pense que c’est un petit peu de tout ça… Je pense que la recherche d’alternative est très forte, en tous cas dans le vote des jeunes. Il y a très certainement aussi une demande d’ordre, de sécurisation… Cela n’est pas le propre de la jeunesse et concerne aussi l’ensemble de l’électorat. Cette inquiétude ambiante est sous-jacente… Les jeunes ne partagent pas les mêmes positions de permissivités ou de libéralisme culturel, portées par la gauche, il y a 20 ou 30 ans. Il y a une perte de spécificité du vote des jeunes.
Il y a aussi un autre résultat intéressant : la différence de participation entre les tout jeunes et les plus âgés. C’est ce que j’avais montré il y a plusieurs années en évoquant le moratoire électoral des années de jeunesse. Dès que l’on obtient le droit de vote, on est tenté de l’utiliser une première fois. Puis, à partir de la vingtaine et jusqu’à un âge assez tardif, on arrête de voter parce qu’on est pris par d’autres urgences. Nous constatons que “les plus vieux des jeunes” sont moins participationnistes que les plus jeunes.
Existe-t-il une solution à cette abstention ?
Déjà, je trouve que ce que vous faite, à l’Anacej, joue beaucoup et je ne peux que saluer votre travail,vous essayez de mobiliser, sensibiliser… Il faut regarder du côté du camp des politiques. Il faut re-crédibiliser l’action des politiques. Lutter contre cette très mauvaise image des politiques qui est en partie justifiée mais qui est bien évidement démesurée par rapport au sérieux de la plupart des responsables politiques. Il y a là un travail pédagogique énorme à mener sur l’image même de la politique. Réhabiliter le rôle du politique, c’est quelque chose d’important. Le conflit est au cœur même de la politique, du pluralisme démocratique. Il y a tout un travail pédagogique à faire auprès des jeunes pour dire que l’on peut ne pas avoir les mêmes idées. Mais l’important c’est d’adhérer à des idées, c’est de prendre part au débat public, de s’exprimer en tant que citoyen, de peser sur les décisions…
Propos recueillis par Simon Berger