Les enfants en raison de leur âge ne sont ni suffisamment écoutés, ni pris au sérieux, ni considérés comme des individus pleinement intégrés dans la société. Cette discrimination est contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant, qui garantit notamment le droit à la parole de l’enfant, mais elle est ancrée dans la société et perdure.
Afin de faire évoluer la façon dont on considère ce problème, un colloque était organisé le 29 octobre sur l’infantisme par le Cofrade, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), le Réseau national des juniors associations (RNJA) et l’Anacej.
Préparé et animé par des jeunes avec les adultes, il a rassemblé des militant·e·s, des élu·e·s locaux, des parlementaires, des chercheur·se·s, des jeunes dont une délégation du L’Haÿ-les-Roses et d’Issy-les-Moulineaux, et a permis de mieux cerner cette réalité et les changements nécessaires.
Une réalité aux formes multiples
Après une introduction d’Armelle Le Bigot-Macaux, Présidente du Cofrade, soulignant l’acuité du sujet, plusieurs jeunes ont donné des exemples concrets dans des cadres variés. Il est rappelé que si l’ONU considère l’enfant jusqu’à 18 ans, les jeunes majeurs sont aussi concernés.
Le premier stade est la négation de l’avis de l’enfant. Des jeunes interpellent sur le fonctionnement de l’Éducation nationale en France qui ne prend pas en compte leur vécu (rester assis de 9h à 17h, ne pas pouvoir aller aux toilettes en dehors des temps de pause…) et ne s’adapte pas à ceux qui n’entrent pas dans la norme, qu'ils aient des facilités ou des difficultés, allant parfois jusqu’à la censure. Une jeune porteuse de handicaps alerte sur la situation dans les IME (instituts médico-éducatifs) où les jeunes sont mis à l’écart de l’école normale, peuvent se sentir marginalisés et reclus.
Cette négation de l’enfant est constatée aussi dans les espaces publics qui ne sont pas conçus pour eux, on pense aux rues, mais les jeunes interpellent aussi sur les musées ou expositions où les scénographies élaborées pour les adultes gâchent souvent la visite pour les enfants.
Quand les institutions permettent la prise de parole (par exemple à l’école à travers les délégués de classe, les conseils de vie collégiens et lycéens ou les écodélégués), l’avis des jeunes est rarement pris en compte, voire même il ne peut s’exprimer. Certains jeunes en viennent à interpréter ces pratiques comme une répression de leur engagement. Ce fonctionnement est aussi dangereux, car il mobilise souvent les enfants les plus motivés et crée en retour chez eux un sentiment d’impuissance. Une jeune s’étonne aussi que les syndicats lycéens, dont elle fait partie et qui sont des instances officielles, soient quasi inconnus alors que les syndicats étudiants, portant la parole de jeunes à peine plus âgés, sont à minima entendus.
Quand la parole du jeune peut émerger, elle est souvent rabattue, y compris dans des milieux visant une transformation sociale. Ainsi une jeune engagée à Youth for climat témoigne qu’ils peuvent ne pas être considérés avec sérieux par les militants adultes, les amenant alors à militer seulement entre jeunes.
Heureusement des progrès ont eu lieu, même s’ils sont assez récents, mais l’enfant ou le jeune est écouté avant tout sur ses besoins et non sur sa vision. Il est alors fréquemment renvoyé à son manque d’expérience, de maturité, à sa naïveté, son idéalisme ou sa radicalité. Pour ne citer qu’un exemple récent et médiatique, il est mentionné la réponse du Président de la République à un jeune qui l’interpelait sur l’action du gouvernement dans le domaine de l’environnement « Vous avez beaucoup de certitude pour un adolescent ». Ces négations conduisent souvent les jeunes à se censurer.
Mettre des mots pour agir
Laelia Benoit, pédopsychiatre, chercheuse à l'INSERM et à l'université de Yale, a publié « Infantisme » (Le Seuil, 2023). Elle a commencé son intervention en expliquant que la notion d’infantisme est née aux USA avec les mouvements civiques, mais a été occultée par d’autres causes comme les droits des femmes ou la lutte contre le racisme. Aujourd’hui cette notion réapparaît tout juste (on ne trouve pas encore d’article sur Wikipédia) pour mieux saisir cette réalité. Elle est plus précise et pertinente que l’âgisme, discrimination liée à l’âge, qui considère surtout la situation des plus âgés et oublie les 0-18 ans. On peut faire le parallèle avec la misogynie, catégorie du sexisme qui désigne plus précisément les atteintes portées aux femmes. Magalie Lafourcade, Secrétaire générale de la CNCDH, insiste sur l’importance de nommer les maux avec des termes précis et de les incarner dans des situations concrètes. Elle cite l’exemple du féminicide, violence sexiste longtemps niée, qui est devenue maintenant une notion opérante pour l’action publique.
Faisant échos aux témoignages, Laelia Benoit explique que cette discrimination touche tous les enfants au quotidien, nous invitant à ne pas considérer seulement les enfants « maltraités » ou au contraire « qui vont bien », de la même façon que le sexisme est une discrimination qui touche toutes les femmes. L’infantisme n’est pas rendu visible pour de multiples raisons, l’éducation est considérée comme une affaire privée en France, les adultes par la protection qu’ils doivent aux enfants développent aussi une domination, ils ont tendance à reproduire les dominations qu’ils ont eux-mêmes subies…
Beaucoup de personnes présentes ont partagé les actions qu’elles mènent et des réflexes à adopter. Ainsi s’interroger sur l’acceptabilité d’une réflexion comme « Vous avez beaucoup de certitude pour une femme » ou « …pour un étranger », sortir de la notion de projets d’enfants pour les considérer comme des projets citoyens avant tout… L'un des intervenants invite à s’inspirer des enfants et à les citer en exemple. Car les enfants et les jeunes sont moins formatés que les adultes et posent des questions plus libres sur les problèmes de société, ils n’ont pas peur de questionner et de confronter, ils nous apprennent à douter ce qui est une vertu, souvent confondue avec l’indécision qui, elle, est dangereuse.
Mais tou·te·s s’accordent sur la nécessité d’aller plus et plusieurs pistes émergent : rendre cette notion compréhensible et populaire, agir collectivement comme cela a toujours été nécessaire pour défendre une minorité, sortir du cadre des militants des droits de l’enfant, faire le lien entre les droits des enfants et ceux de toutes personnes qui subissent des discriminations, se baser sur les droits de l’homme et donner la parole aux personnes concernées…
Pour le mot de la fin, Magalie Lafourcade exprime que parler d’infantisme c’est montrer que la jeunesse est légitime, c’est la reconnaître et montrer sa puissance. Ce à quoi un des jeunes sur scène acquiesce « Laissez-moi rêver ».
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